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Elliott Erwitt, l’œil doit rigoler

Publié le 13 avril 2023 à 22h00

Elliott Erwitt - New York City, États-Unis, 1974
Elliott Erwitt - New York City, États-Unis, 1974

A 94 ans, dont 80 de carrière, ce photographe mythique voit son œuvre capturée entre 1948 et 2009 exposée au musée Maillol à l’occasion d’une rétrospective enthousiasmante. Un voyage autour du monde et du temps émouvant rendant hommage à cet artiste très espiègle.

« Je prends des photos sérieuses, de temps en temps. »

Cette phrase a beau être collée au mur, on jurerait entendre Elliott Erwitt, photographe cabotin, tant elle lui ressemble. Une rétrospective lui est consacrée au Musée Maillol (Paris 7ème) à travers une collection de 215 photographies en noir et blanc et en couleur - un minimum pour tenter de refléter la diversité du travail du photographe. Il est à la fois peintre de l'intime, photojournaliste, photographe publicitaire, réalisateur de films et portraitiste. Son œil et son objectif ont traversé le monde et les époques pour immortaliser des moments de vie à travers un style distinct empreint d'humour et d'émotion. 

Né à Paris en 1928 dans une famille juive russe, Elliott Erwitt passe son enfance en Italie et s'installe définitivement aux États-Unis en 1939, d'abord à New York puis à Los Angeles, où il étudie la photographie et le cinéma. Après avoir servi comme photographe de l'armée américaine en France et en Allemagne, il commence sa carrière comme photographe indépendant. En 1953, il rejoint l'agence historique Magnum - fondée à la fin de la Seconde Guerre mondiale par un groupe de photographes comprenant Henri Cartier-Bresson et Robert Capa - dont il devient également le président en 1968. Erwitt utilise le langage privilégié de l'instantané pour composer un récit visuel qui montre toute l'ironie d'un monde figé dans des poses bizarres, mais aussi la perfection formelle inattendue qui peut résulter d’un appareil.

Ne suivez pas le guide, mais plutôt le toutou !

Si Erwitt a photographié tous les grands événements des plateaux de cinéma avec Marilyn Monroe, des rencontres avec Che Guevara jusqu’à la victoire d’Obama en 2009 pour Magnum, ses photos de chiens restent iconiques. Il n’est donc pas si surprenant d’accepter de suivre les petites traces de pattes qui marquent le sol et balisent la visite. Pionnier de la street photography, Erwitt aime suivre les chiens et leurs maîtres. Parfois, il se met à aboyer (avec brio comme l’atteste une vidéo du parcours) pour faire réagir le chien, ce qui explique certains regards hallucinés de la part des intéressés. Quand on lui demande pourquoi photographier nos amis à quatre pattes, celui-ci se plaît à rétorquer qu’au moins ils ne lui demandent jamais de tirages !

Capturer le réel, chercher l’humour et l’humanité dans chaque situation, faire rire ou pleurer « ou les deux à la fois » résument bien son travail lorsqu’il photographie des couples de tout âge ou des enfants jouant dans des débris. Il n’y a pas ou peu de paysage dans son portfolio, ni de commentaire pour accompagner les tirages, à sa demande. Faire un cartel détaillé, c’est comme les blagues. « Plus on l’explique, moins c’est drôle », rapporte Andréa Holzherr, la Directrice des Expositions de Magnum Photos. Encore une marque du trait d’esprit si propre à l’artiste qui se décrit comme un « homme monde » et un « joueur ».

Self-Portrait - Elliott Erwitt, San Francisco, 1979
Self-Portrait - Elliott Erwitt, San Francisco, 1979

N’offrant aucune explication, l’exposition invite les visiteurs à se mettre à la place de Erwitt : prendre le temps d’observer ce qu’il se passe autour d’eux, découvrir en déambulant simplement. Cette envie de dialogue imprévu se retrouve parfaitement dans certaines séries proposées sous forme de séquences, à la manière de scénettes où les prémisses d’une histoire s'esquissent. Le réalisateur et le cinéaste ne font alors plus qu’un. On pense à Jacques Tati devant ses séquences de plages et aux vacanciers qui courent derrière le parasol après une bourrasque.

La singularité d’Erwitt se retrouve là. Dans sa capacité à trouver le cocasse dans n’importe quelle situation. Ne jamais se prendre au sérieux est un principe qu’il s’attache à suivre rigoureusement, en témoignent ses quelques autoportraits qui le dépeignent avec des accessoires absurdes, des perruques ou des têtes de lion sortis d’un magasin de déguisement.
« Vous posez d'abord le cadre, puis vous attendez que quelqu'un le remplisse », a déclaré un jour Elliott Erwitt à propos de sa photographie. Se plonger dans son univers espiègle, nous ouvre les portes d’un monde enchanté, imparfait mais captivant.

« Elliott Erwitt : une rétrospective » au musée Maillol, 59-61 rue de Grenelle (Paris 7e). Jusqu’au 15 août 2023

Autrice : Carla P

Crédit Photo : Elliott Erwitt/Magnum Photos

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