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We Love Green : « Notre programmation doit représenter notre public »

Publié le 10 mai 2024 à 13h33

Dans l’équipe de We Love Green depuis 2016 – d’abord à la communication puis à la programmation –, Paul Bonabesse construit avec Clément Meyère la « line up » du festival. Un art de l’équilibre où il faut jongler entre considérations artistiques, financières, mais aussi - et plus encore pour un festival responsable comme We Love Green - des critères écologiques et d’inclusivité. Interview avec la moitié du binôme sur les enjeux de cette programmation.  

Quelle place prend la notion de responsabilité et d’inclusivité dans la construction de votre programmation ?

Paul Bonabesse :

À l'échelle du festival, la notion de responsabilité est essentielle car We Love Green est un festival engagé. C’est un laboratoire d’expérimentations : chaque année, beaucoup de nouvelles méthodes sont testées pour faire avancer les choses en France et en Europe. Production, restauration, traitement des déchets, énergie, sensibilisation des publics et des différentes parties prenantes… Évidemment d’un point de vue artistique, que ce soit dans la programmation mais aussi à travers la sensibilisation des équipes artistes ou des artistes eux-mêmes, une conscience responsable prime sur la majorité de nos décisions.

À propos d’inclusivité, le festival tend à mettre en valeur notre base festivalière : un public qui vient de tous les horizons, très mixte, avec, par ailleurs, une légère majorité de festivalières. On essaie de représenter ça au maximum dans notre programmation... la part des artistes féminines est de 33 % dans la programmation de We Love Green, ce qui est toujours inférieur aux hommes mais bien au-dessus de la moyenne nationale dans les festivals en 2022 qui était de 20 %. On a 2 % d’artistes non-binaires et 7 % de groupes mixtes et environ 56 % d’hommes. Dans la programmation des conférences données sur le festival, on était sur un ratio de 52% de femmes et 48% d’hommes.

On ne peut pas encore s’en satisfaire, mais ces indicateurs de parité et de diversité augmentent d’édition en édition, et montrent que le secteur musical global se met également au pas. Et surtout, on veut continuer à travailler pour s’améliorer.

Comment ces objectifs sont-ils chiffrés ?

PB :

Sur la question de l’impact, tout est chiffré car nous récoltons auprès de chaque partie prenante des données précises afin de pouvoir calculer notre bilan carbone chaque année, (et ce depuis la création du festival en 2011). Ça passe notamment par des questionnaires très précis auprès des productions, pour collecter toutes les datas liées à la venue des équipes artistiques : nombre de personnes, mode de déplacement, distances, types de carburants, chargements… C’est assez technique, rébarbatif et contraignant pour les productions mais petit à petit, ça s’inscrit dans les habitudes et permet d’interroger l’impact des choix de production. C’est une bonne manière de susciter un questionnement, et un changement d’habitude. Bien qu’on ne se fixe pas ici non plus un seuil précis à ne pas dépasser en amont du festival, on essaye de garder cette conscience de l’impact tout au long de notre travail de programmation, et réfléchir à l’optimisation des opportunités booking x proximité x disponibilité x tournée légère x impact sur la billetterie, et faire mieux que les années précédentes. Et surtout, une fois programmés, nous jouons un rôle de sensibilisation auprès des artistes mais aussi de leurs équipes en incluant notamment des clauses engageantes: des limites pour les puissances énergétiques fournies par le festival, une restauration 100% végétarienne, pas de bouteilles d’eau en plastique, des limites de volumes sonores, etc. 

En matière d’écologie, quels sont les leviers ?

PB :

Notre équipe de production fait un travail en interne pour proposer des trajets en train plutôt qu’en avion pour réduire l’impact carbone du festival - et aussi pour montrer aux tourneurs que c’est possible, et que cela peut être fait tout au long de l’année. Certains tourneurs le font d’eux-mêmes, et ont leur propre bilan carbone. On a aussi beaucoup d’artistes sur le Bassin parisien, près de 20%. Il faut aussi prendre en compte le déplacement de certains artistes qui tournent avec des semis-remorques, pour la scénographie par exemple. Il serait compliqué de déplacer la scénographie d’un groupe comme Justice par train, mais on essaie d’optimiser la logistique afin d’avoir le set up le moins gourmand possible tout en ayant un show ultra-intéressant. Aussi, via le monitoring énergétique, on essaye d’accompagner les équipes artistiques pour qu’ils prennent conscience de leur besoin réel en énergie, et on leur propose des solutions alternatives qui sont à la fois moins énergivores, et qui se trouvent déjà sur place, permettant aussi de limiter les chargements à déplacer. C’est en faisant attention à ce genre de détails qu’on arrive chaque année à avoir un bilan carbone le moins lourd.

Les programmateurs travaillent-ils ensemble pour optimiser les tournées des artistes ?

PB :

C’est un sujet sur lequel on travaille depuis nos débuts et qu’on pousse davantage chaque année. On a un pôle de six festivals européens qui ont lieu sur la même période et avec qui on organise des points récurrents : Primavera à Barcelone, NorthSide au Danemark ou encore des festivals en Angleterre ou en Pologne. Cela nous permet de mutualiser la venue d’artistes internationaux et de pouvoir leur proposer une tournée européenne sur plusieurs dates et ainsi limiter l’impact écologique. C’est aussi plus avantageux économiquement de faire venir ce genre d’artistes pour une tournée de plusieurs dates en Europe que de payer un déplacement transatlantique aller-retour unique. Il y a aussi une coalition de festivals et de producteurs en France et en Europe, avec par exemple le réseau Green Deal Circular Festivals qui regroupe cinquante festivals européens engagés et dans lequel on est le seul festival français, ou le réseau des événements audités et récompensés de A Greener Future, qui constituent des espèces de hub qui vont nous permettre d’échanger avec nos homologues européens.

Comment cette coopération se conjugue-t-elle avec le besoin d’avoir une programmation unique ?

PB :

Les festivals sur la même période que nous sont des partenaires plutôt que des concurrents. Néanmoins, on comprend le besoin pour chaque festival de se démarquer et donc d'obtenir des artistes en exclusivité. Les festivals français ne se déroulent pas forcément dans les mêmes régions, ce sont des bassins d’audience différents. On essaie de ne pas se mettre des bâtons dans les roues. Quant aux festivals d’été parisiens, nous sommes plutôt resserrés, donc évidemment on fait attention à ne pas avoir les mêmes programmations.

Les artistes sont-ils sensibilisés à ces enjeux écologiques ?

PB :

Il y a des artistes qui imposent ce critère à leur agent. Certains ne veulent plus voyager en avion mais seulement en train. S’ils vont loin, en Australie ou aux États-Unis par exemple, ils font en sorte d’avoir un maximum de dates. La DJ française Anetha, programmée cette année, fait très attention à ça. Ça nous plaît de voir que certains artistes s’y intéressent de près et on souligne ces engagements dans notre communication.

L’inclusivité d’une programmation influence-t-elle la diversité du public ?

PB :

Oui, j’en suis persuadé. Avoir une programmation la plus inclusive et paritaire renforce l’image d’un festival bienveillant. Je pense que les festivaliers s’en sentent naturellement plus à l’aise. On communique en amont du festival sur les sujets de bienveillance. Les équipes sont formées aux risques de violences sexistes et sexuelles. Sur le festival, on continue cette communication avec de la signalétique, des stands, des associations spécialisées, des brigades de bénévoles formées, une application (Safer).

Pour finir, quel est l’artiste que tu attends particulièrement cette année ? 

PB :

J’en parlais tout à l’heure, mais Anetha, fer de lance de la scène techno française, vient de sortir son nouvel album MotherEarth. Un album qu’on pourrait presque qualifier “d’éco-feministe” dans lequel elle pose sa voix pour revendiquer certains combats féministes et écologiques. C’est rare dans ce monde là, alors on applaudit et on danse, car la danse ça ne nécessite pas de carburant !

Autrice : Elsa F

Crédit Photo : Maxime Chermat

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