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Emmanuel Rossi, son dada ce n’est pas du cinéma

Publié le 13 mars 2023 à 23h00

Emmanuel Rossi et son projecteur
Emmanuel Rossi et son projecteur

Collectionneur d’affiches et de films de cinéma depuis quatre décennies, Emmanuel Rossi est un as de la bobine. Il parcourt le web à la recherche des bonnes annonces, notamment sur leboncoin, et sillonne la France à la recherche de pépites sur pellicule pour transformer son salon en salle de projection. Rencontre.

Le bruit d’un projecteur de cinéma est un son très particulier. Son bourdonnement a fait frémir des millions de spectateurs anxieux de découvrir de nouvelles histoires sur grand écran. Emmanuel Rossi n’est pas une exception. Il a découvert le cinéma « comme tout le monde » car « c'était le loisir le moins cher et le plus simple à avoir ». Un début d’histoire on ne peut plus banal. 

Pourtant, à dix ans il découvre les joies de la collection d’affiches – d’ordinaire réservées à un usage publicitaire – puis la collection de pellicules. Après ses études à la fin des années 1990, son loisir deviendra son métier. Désormais exploitant de salles de cinéma, il a également cofondé une société de distribution de films de série B,  L'Atelier Distribution, spécialisée dans les documentaires ou les films art et essais. Aujourd’hui, sa collection personnelle est entreposée entre plusieurs cinémathèques de France, un hangar à Rouen et chez lui à Saint-Ouen, où il se fait une joie de convier quelques curieux pour des projections maison en 35 ou 16 millimètres de ses dernières trouvailles chinées sur leboncoin.

Comment devient-on collectionneur de pellicules ?

Emmanuel Rossi  :

Je collectionne beaucoup de choses sur le cinéma depuis 40 ans. Ça a commencé par des affiches de cinéma puis, quand j'ai commencé à travailler dans les salles de cinéma, en l'occurrence à Cabourg, je me suis rendu compte que j'avais accès à toutes les affiches, mais aussi aux pellicules. Je ne pensais pas que c'était envisageable de récupérer ce matériel parce que ça reste du matériel professionnel. 

Au fur et à mesure, je suis rentré dans le milieu des collectionneurs de pellicules en plus des affiches. Ça m'a ouvert des perspectives que je ne pensais pas possibles : posséder des films dans leur état d'origine. Il y a un « milieu de la collection » qui se nourrit entre collectionneurs, puis, plus tard, s’est élargi aux communautés en ligne et sites de revente. La collection s’est nourrie par rapport à tous ces relais virtuels. J'utilise énormément leboncoin pour justement essayer de récupérer des copies de films, des copies de bandes annonces, des copies de publicités des années 50, 60, 70 et 80.

Comment vous est venue cette passion pour le cinéma ?

ER :

J’avoue que je ne sais pas très bien… je ne suis pas Spielberg comme dans The Fabelmans [son dernier film, sorti le 22 février en France]. C'est assez commun : je suis d'une génération où on allait souvent au cinéma. La passion du film, c’est toujours un moyen de s'évader, de voir des choses différentes.

Vous souvenez-vous de la première affiche que vous avez achetée ?

ER :

La première affiche que j'ai achetée, ça devait être E.T. L’extraterrestre [de Steven Spielberg]. Je sais que j'allais dans les Pyrénées-Orientales, du côté de Perpignan, où il y avait un petit cinéma qui vendait des affiches dans les années 80.

La première pellicule que vous avez achetée, vous vous en souvenez aussi ?

ER :

Ah oui ! Ça c'est plus facile parce que c'était en 1999-2000. J'avais acheté un lot de bobines avec La Guerre des étoiles, E.T. et King Kong ! Depuis, je chine surtout du 35 mm, le support standard dans les cinémas, mais aussi un peu de 16 mm qui lui aussi était un support utilisé principalement par les itinérants, qui allaient de salle en salle, genre salles des fêtes et qui faisaient des projections à droite à gauche.

Comment se passe le processus de recherche ? C’est comme pour un meuble ou des vêtements ?

ER :

J'ai des alertes automatiques sur l’appli du boncoin selon quelques mots clés. Je la regarde une ou deux fois par jour. Ensuite, on tombe sur des annonces et c’est là que ça se corse. Les vendeurs ne sont pas toujours des connaisseurs, il faut donc vérifier quelques signes quand on est devant une bobine. Par exemple, s’il y a une odeur forte de vinaigre, cela veut dire que la copie est inexploitable. Après il n’y aucun moyen de savoir ce qu’il y a dessus ou de déterminer son état sans la projeter. Ce n’est pas comme un livre où il suffit de feuilleter vite fait, regarder la couverture, la tranche… pour avoir une idée rapide et fiable à 90%. On achète toujours à l'aveugle. Puis, on visionne pour estimer si on a fait une « bonne affaire ». C'est un peu le casino !

Une copie peut peser entre 20 et 30 kilos. Ce n’est pas maniable comme un DVD ou comme un Blu-ray. Avant de regarder un film, il y a toute une manipulation pour monter la copie. Il y en a au moins pour trois heures, il faut aller la chercher pour la remonter par la tête. Ce sont des contraintes physiques qui font que c'est assez compliqué à regarder. Une fois qu'on l'a regardée, ce n’est pas terminé. Il faut la redémonter pour la mettre dans des boîtes. Quand vous récupérez une grosse collection, il y a quelques films qui vous intéressent et que vous allez voir tout de suite. Puis après, y a plein d'autres choses que je ne verrai sans doute jamais.

Est-ce que vous avez de particulièrement bons souvenirs de chine ?

ER :

Ah oui, on fait beaucoup de découvertes. Ce qui m’a le plus marqué, remonte à 2000-2002. Starcrash : Le choc des étoiles, un film italien datant de la fin des années 70, qui avait été réalisé à la suite du succès de La Guerre des étoiles. Je ne connaissais pas du tout ce film mais j'avais acheté la bande annonce qui était très drôle. C’était Star Wars mais sans les moyens et avec David Hasselhoff dans un de ses premiers rôles affublé d’une choucroute très kitsch. J'ai pu acheter le film peu de temps après et on l'a regardé à plusieurs. Tous ceux présents dans la salle ce jour-là étaient complètement exaltés ! C’était incroyable ! Il y a beaucoup de rythme, certes pas beaucoup de talent ni de budget, mais il y a quand même quelque chose qui fait qu'on a tous adoré. Juste après et par hasard, le film a été édité en DVD. On en a profité pour faire une projection au Méliès à Montreuil avec le réalisateur et l'actrice principale qui était une James Bond girl.

Trouver des films qui ne sont pas accessibles comme ça, c'est plus sympa parce qu'on découvre quelque chose qu'on ne connaît pas. D’autant plus quand on tombe sur des trésors. Par exemple, il y a deux ans, j'ai récupéré une copie d'un film qui s'appelle Incubus… qui est en espéranto ! Avec William Shatner, le capitaine Kirk de Star Trek, qui ne comprend rien à ce qu'il dit parce qu'il parle en espéranto comme tout le reste du casting. Cependant le film reste vraiment très intéressant visuellement. Et puis, c'est la seule copie qui existe.

Sauriez-vous estimer la quantité de films dans votre bibliothèque personnelle ?

ER :

Ça fait plus de 20 ans que je collectionne… j'ai même un hangar! C'est dire le volume que ça représente ! J'en ai déposé à la Cinémathèque Française et à la Cinémathèque de Toulouse. Ça permet souvent d’enrichir leur fond. Ça peut arriver d'avoir accès à de vieilles pellicules, des vieilles bandes annonces comme des copies de films entiers, dans des versions que ces institutions n’ont pas ! Et puis, je reste un professionnel de l’industrie donc ma collection peut servir à des distributeurs, des éditeurs de Blu-ray, de DVD qui peuvent en avoir besoin.

Est-ce que vous avez des genres de prédilection, des époques de prédilection, à part E.T L’extraterrestre ?

ER :

Le fil conducteur de ma collection, c’est la découverte. Depuis les années 50, énormément de films sont sortis, toutes nationalités confondues. Aujourd’hui on a l'impression que, lorsqu’on va sur une plateforme, tous les films jamais réalisés sont disponibles. En réalité, ce n'est pas du tout le cas. Il y a énormément de films qui ne sont pas disponibles, qui peut-être à un moment sont sortis en VHS mais qui, par la suite, n'ont jamais eu une vie parce que c'étaient des petits films, parce que c'étaient des films de série B, parce que c'étaient des films populaires… Ils ont disparu de l'histoire du cinéma. Pourtant, il existe un tas de genres méconnus qui n’ont jamais été réédités ! Ce que j'aime le plus, c'est de retrouver des copies de ces films-là qui ne sont pas connus et de les projeter. L'intérêt de s'embêter à avoir des copies en 16 ou en 35 mm est de pouvoir regarder des films indisponibles autrement ! Même si, parfois, on comprend pourquoi le film a disparu ! (Rires)

Autrice : Carla P

Crédit Photo : Carla Rossi

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