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Quand les impressionnistes faisaient l’état de la pollution atmosphérique

Publié le 22 février 2023 à 23h00

Charing Cross Bridge, la Tamise 1903
Charing Cross Bridge, la Tamise 1903

Les impressionnistes ont-ils été influencés par la qualité de l’air dans leurs peintures ? C’est ce que suggère une étude menée par des chercheurs de l’université d’Harvard et du CNRS. Après avoir scruté une centaine de peintures de Claude Monet et J.M.W. Turner, ils sont formels : les changements stylistiques coïncident avec l'augmentation des niveaux de pollution atmosphérique du XIXe siècle.

C’est une théorie qui ne date pas d’hier. Les paysages brumeux de Turner, Whistler, Pissarro, Monet et compagnie ont toujours fasciné par leur densité et leurs lumières. Une nouvelle étude, publiée en février dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, a analysé les changements de style et de couleur dans près de 100 tableaux de Monet et de J.M.W. Turner, tous deux artistes contemporains de la révolution industrielle de l'Europe occidentale des XVIIIe et XIXe siècles. 

Flou et palettes de couleur plus pâles 

L'étude a révélé qu'au fil du temps, « la visibilité dans les peintures diminue à mesure que la pollution de l'air extérieur augmente ». Tout au long de la carrière de Turner et de Monet, les ciels de leurs tableaux sont devenus plus « flous » eux aussi. Ce fameux flou, emblématique du mouvement impressionniste n’est pas la seule piste explorée : les chercheurs notent également que les couleurs sont nettement plus blanches, ce qui semble traduire les changements optiques dus aux concentrations plus élevées d'aérosols dans l'atmosphère. 

Les peintres étaient-ils conscients de participer à la documentation de la crise climatique dès le début de la révolution industrielle ? Pas forcément en ces termes. En revanche, les usines, les trains, les ponts et chaussées étaient des sujets privilégiés des artistes de ce mouvement. A vrai dire, comme Turner et Whistler, Monet va s’attacher à représenter ce qu’il appelle des « effets de brouillard » sur la Tamise et sur la Seine. Ses paysages sont souvent noyés dans les fumées sortant des cheminées d’usine. L’impressionnisme s’inscrit dans le courant plus général de la peinture de paysage, axé donc sur l’ambiance d’un paysage, après s’être intéressé avant tout au rendu des effets atmosphériques. 

Il écrit même à sa femme Alice, en février 1901, sa frayeur après s’être réveillé sous un ciel bleu, « en me levant à six heures, j’ai bien cru que j’allais avoir une très mauvaise journée. Comme toujours le dimanche, pas l’ombre de brume, même c’était d’une netteté épouvantable […] Grâce aux fumées, la brume est venue, puis des nuages, etc. ». Pour sa part, Turner, précurseur de ce mouvement, a peut-être été inspiré pour la réalisation de son tableau ‘The Thames above Waterloo Bridge’, selon le musée londonien Tate, par une commission parlementaire de 1829 qui s’était penchée sur la pollution par les fumées urbaines.

Une lecture intéressante mais pas très artistique

L’impressionnisme est généralement présenté comme une réponse au courant réaliste. Pourtant, cette étude porte à croire que les paysages peints se rapprocheraient bien plus de la réalité de l’époque : « Turner et Monet semblent avoir montré de manière réaliste comment la lumière du soleil filtre à travers la fumée et les nuages », note Peter Huybers, climatologue et professeur à l'université de Harvard. Si l’hypothèse est une clé de lecture intéressante de ce mouvement aussi populaire que scruté, elle aurait une légère tendance à extrapoler dans le domaine de l’analyse picturale. Dans Télérama, Cyrille Sciama, directeur du musée des Impressionnismes de Giverny, rappelle l'intérêt de ces artistes pour ce fameux « smog » mais aussi pour les résidences secondaires hors centres urbains, pour se rapprocher d’autres de leurs sujets de prédilection : les jardins et de la nature. Néanmoins, cette étude permet de voir comment, de nouveau, l’art pictural peut se révéler être un témoin de son temps même s’il faut parfois replacer les préoccupations de chaque époque dans leur contexte.

Autrice : Carla P

Crédit Photo : Claude Monet

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