# Économie

Des produits conçus pour échouer : comment passer de l’obsolescence programmée à la durabilité

Publié le 13 août 2023 à 22h00

Ampoule suspendue allumée
Ampoule suspendue allumée

Collants indestructibles, smartphones incassables, indice de réparabilité, l’heure du tout remplaçable aurait-elle sonnée ? 

Sur les réseaux sociaux, les publicités sponsorisées pour collants indestructibles pullulent. On les tire, les étire, les menace presque avec un couteau… rien à faire : ils ne filent pas. Toute personne ayant porté des collants un jour pourrait alors croire au miracle tant bonneterie n’a jamais rimé avec résistance. 

Quoique ? Le croiriez-vous, si on vous disait qu’il fut un temps où les bas étaient réputés pour leur indestructibilité ? Et qu’il y a près d’un siècle, les ampoules duraient plus longtemps ? L’obsolescence programmée de nos produits de consommation n’a pas toujours été une réalité. Les producteurs comme les consommateurs commencent à en prendre conscience et décident de changer les choses pour plus de durabilité. 

Quand le nylon vivait longtemps

Revenons à notre nylon. Dans les années 1930, l’entreprise de chimie américaine DuPont met au point le nylon et lance une gamme de collants. Moins cher que la soie, ne se froissant pas et galbant la jambe, le produit a un succès fou. Mais, les lois du marché n’échappent pas à celles de la gravité : après une croissance formidable, les ventes chutent. En cause, le fait que les consommateurs n’en rachètent pas régulièrement. Les bas nylon sont si résistants qu’on peut même les recoudre et il ne suffit que de quelques paires pour durer toute une année ! 

L’affaire n’est plus si rentable, au final, pour DuPont. L’heure n’est plus aux « nylon riots », où l’on se battait pour obtenir une nouvelle paire, si bien que l’entreprise décide de dégrader délibérément sa marchandise. Prétextant une demande pour des fibres plus fines, l’entreprise aurait chargé ses ingénieurs de fragiliser les bas en réduisant considérablement la quantité d'additifs protégeant le tissu des rayons ultraviolets, ce qui affaiblit sa résistance et diminue sa durabilité. Les bas, sensibles à la lumière du soleil et aux frottements, se déchirent beaucoup plus rapidement, et au lieu de pouvoir les réparer, ils finissent rapidement à la poubelle. Un revirement qui n’a pas vraiment plu à l’époque, sans pour autant créer un véritable soulèvement de la part des consommateurs. 

Mais ces pratiques douteuses popularisées par DuPont se sont, depuis, largement généralisées dans l’industrie : électroménager, textile, meubles et désormais électronique, l’obsolescence programmée est presque devenu la norme. Plus de soixante-dix ans après ces changements de pratique, le modèle est remis en question, accompagné de solutions tangibles.

L’obsolescence programmée : faste et progrès

Il est vrai que la routine « acheter – jeter – racheter » est vite entrée dans les mœurs avec la période dite des Trente Glorieuses, tout comme le concept d’obsolescence programmée. On aurait presque oublié qu’à un moment, le progrès technologique a permis la mise au point de matières très résistantes, comme le nylon, donc, mais aussi des ampoules qui durent longtemps.

Dans les années 1920, par exemple, est né le « cartel de Phoebus ». Il s’agit du regroupement de représentants des principaux fabricants d'ampoules électriques du monde entier, tels que l'Allemand Osram, le Britannique Associated Electrical Industries et l'Américain General Electric (GE), qui se sont entendus pour réduire artificiellement la durée de vie des ampoules à 1 000 heures pour assurer un meilleur rendement.

Cette pratique a été favorisée, créant ainsi une demande constante pour de nouveaux achats. L’idée de réduire l’obsolescence programmée à une vaste conspiration capitaliste est tentante mais pas tout à fait juste. La mise sur le marché continue de nouveaux produits permet non seulement d'attirer de nouveaux clients, mais aussi d'encourager l'innovation et d'améliorer la qualité des produits. Par conséquent, ce cercle apparemment vicieux a aussi ses vertus. Il a rendu un large éventail de biens abordables et accessibles, nous permettant d’accéder aujourd’hui à un luxe et un confort inimaginables il y a un siècle. 

La durabilité doit-elle devenir à la mode pour être prise au sérieux ?

Pourquoi les pubs pour des collants ou autres objets du quotidiens présumés « indestructibles » se mettent-elles alors soudainement à pleuvoir ? La durabilité n’a, on l’a compris, rien de véritablement innovant. En réalité, elle devient simplement à la mode – et c’est une bonne chose. 

Les pouvoirs publics s’y mettent aussi. En France, l’obsolescence programmée est un délit depuis 2015, sanctionné par deux ans d'emprisonnement, une amende de 300 000 euros (pouvant aller jusqu'à 5% du chiffre d'affaires de l'entreprise) ainsi que des interdictions d'exercer, suite aux campagnes de l’association Halte à l’obsolescence programmée HOP. S’il n’est pas toujours aisé d’y avoir recours, les questions sur la durabilité, l'éthique de la consommation et la nécessité d'un changement de paradigme pour promouvoir des produits plus durables et réparables sont au cœur des débats, ce qui joue considérablement sur les habitudes des consommateurs et les stratégies des différentes industries – qu’il s’agisse de leur approche marketing ou innovation.

À mesure que l'on prend conscience de l'impact négatif de la culture du périssable sur l'environnement, il est possible que les biens de consommation deviennent moins jetables. Si on suit la logique de l’obsolescence programmée comme moteur d’innovation, nos objets du quotidien pourraient bien devenir résistants ! 

Autrice : Carla P

Crédit Photo : Johannes Plenio/Unsplash

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