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Le chansigne, un métier de transmission

Publié le 4 janvier 2024 à 23h00

Couple communiquant à la maison en utilisant la langue des signes
Couple communiquant à la maison en utilisant la langue des signes

Des festivals aux salles de concerts, l’accès aux personnes sourdes et malentendantes devient plus simple grâce aux interprètes. Ces derniers mois, de plus en plus d’artistes font appel aux chansigneurs, ces personnes qui interprètent en langue des signes les musiques.

En février 2023, le retour de Rihanna sur la scène musicale le temps du SuperBowl’s halftime a beaucoup fait parler. Si sa performance a été saluée par les fans et la critique, ce n’est pas la seule personne que l’on retiendra du show. En effet, la performance énergique et enivrante de l’interprète en chansigne Justina Miles a fait sensation, mettant ce métier sous le feu des projecteurs.

En France, de nombreux festivals et concerts s'engagent pour rendre les évènements plus inclusifs pour les personnes sourdes ou malentendantes. A l'instar de Soprano aux Vieilles Charrues en 2023 par exemple ou encore Hoshi qui a fait monter sur scène une jeune fille qui signait dans la fosse pour son amie. Cette pratique relevant presque de l’art, s’étend de plus en plus pour permettre aux personnes ayant un handicap auditif de pouvoir participer et vivre des évènements au même titre que leur entourage entendant. Nous avons rencontré Laëty Tual, chansigneuse depuis 20 ans, pour découvrir ce métier passionnant. 

Qu’est-ce que le chansigne et comment s’invite-t-il dans les évènements musicaux ?

Laëty Tual :

Le « chansigne » est un néologisme qui date de 2010. Si on reprend la définition du mot chant, on peut lire qu’il s’agit d’une expression vocale sur de la musique. Ceci étant dit, si on prend une chanson pour la transposer en langue des signes, on obtient le chansigne, c’est-à-dire une expression travaillée en langue des signes sur de la musique. Cependant, le chansigne n’est pas qu’une simple retranscription, c’est une véritable œuvre artistique qui est le fruit d’un travail de plusieurs heures. 

On retrouve deux types de chansignes : celui d’accessibilité et celui d’adaptation. Aujourd’hui, de plus en plus d’évènements s’intéressent à la question de l’accessibilité pour les personnes sourdes et malentendantes. Malgré le fait que les artistes en fassent rarement la demande, cette pratique prend de l’ampleur. Le chansigne d’accessibilité se transcrit par un interprète sur le côté de la scène, souvent habillé en noir, éclairé par un spot de lumière qui transcrit les paroles. Le chansigne d’adaptation quant à lui est plus axé sur la performance artistique, afin de faire ressentir au public les émotions qui passent à travers la musique. Pour celui-là, le chant passe par la langue des signes et le corps reflète la musique, c’est une réelle représentation artistique.

Comment se lance-t-on dans le chansigne ?

LT :

Je n’ai jamais été une bonne communicante à l’oral, j’ai toujours cherché le silence. Et c’est en lisant le livre d’Emmanuelle Laborit à 15 ans que j’ai eu envie de découvrir l’univers et la culture sourde. J’habitais dans un petit village où vivait une famille de sourds donc je suis allée à leur rencontre et, en échange de soutien scolaire, ils m’ont appris les rudiments de la Langue des Signes Française (LSF). Puis j’ai pris mon premier vrai cours et ça a été une révélation. Je suis comme tombée amoureuse. J’ai rencontré des gens, je me suis fait des amis et, comme tous les jeunes, on sortait en boîte ou en concert. Mais très vite, je me suis rendu compte que ce n’étaient pas des lieux adaptés aux personnes sourdes et malentendantes. Alors je me suis lancée dans le chansigne. J’ai essuyé plusieurs refus au début mais, à force de persévérer, ça a fonctionné et aujourd’hui on est quelques-uns en France à pratiquer cette discipline et à lutter pour rendre les évènements festifs plus inclusifs.

Pourquoi choisir le chansigne plutôt que le métier d’interprète ?

LT :

Premièrement car je n’ai pas de diplôme d’interprète. Je n’ai pas fait d’étude particulière dans la LSF. J’ai beaucoup appris en allant à la rencontre de personnes qui m’enseignaient leur savoir et leur façon de procéder pour traduire certaines formules et certaines émotions. Aussi, j’ai travaillé auprès de personnes sourdes et malentendantes en tant qu’aide de vie mais je n’ai pas aimé le principe de neutralité. Si une personne a des propos ou des avis que je ne partage pas, je dois tout de même les transmettre alors qu’avec le chansigne, c’est moi qui décide. En fait, la dimension artistique vient renforcer mon amour pour cette pratique. Je suis d’une famille d'artistes, j’ai toujours pratiqué différents arts et je ressens les musiques par des couleurs donc c’est encore plus évident pour moi de choisir cette voie.

Quel avenir peut-on espérer pour le chansigne ?

LT :

Il faut savoir que le chansigne a toujours existé puisqu’on essaie tous de se faire comprendre. Il s’est affiné avec le temps et aujourd’hui c’est à nous de sensibiliser sur cet art pour qu’il se répande encore plus. J’espère aussi que les artistes considéreront plus le chansigne et la préparation que cela demande car une musique en chansigne équivaut à une trentaine d’heures de travail, mais cela se passe encore mieux quand une rencontre avec l’artiste peut se faire. C’est en cela que le chansigne est intéressant car c’est une co-création. Quand les chanteurs, les musiciens et les chansigneurs se réunissent pour parler de la musique et de tout ce que les artistes ont voulu dégager de ces quelques minutes de chanson, c’est alors plus facile pour nous de communiquer la bonne émotion.

Autrice : Flavie R

Crédit Photo : fizkes/iStock

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