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Obsolescence déprogrammée : les smartphones du futur

Publié le 8 juin 2021 à 22h35

Réparation d'iPhone
Réparation d'iPhone

Et si nous parions que la puissance, la résolution de la caméra, la capacité de l’écran à se plier et à s’enrouler ou encore « l’intelligence » de l’assistant vocal ne seront plus les seuls critères de choix des smartphones de demain. Et si la véritable innovation était de les faire durer, tout simplement ?

Propulsé par l’arrivée du premier iPhone en 2007, le « téléphone intelligent » a achevé en un temps record sa fusion avec nos mains, au point d’en devenir une extension quasi organique… aussi précieuse qu’éphémère. En 2020, son espérance de vie à l’échelle mondiale ne dépassait pas 33,8 mois, soit un peu moins de trois ans – une hausse de 10 mois par rapport à 2014. Si la tendance évolue (très lentement) dans le bon sens, la pléthore d’offres promo, de pubs et l’arrivée incessante de nouveaux services de plus en plus poussés, à l’instar de la 5G, incite « à renouveler prématurément des équipements en état de marche », déplore le collectif HOP - Halte à l’obsolescence programmée. Résultat : 88 % des Français changent leur téléphone portable alors qu’il fonctionne encore selon l’ADEME.

Réemploi et débrouillardise

Face à ce phénomène, un contre-mouvement tourné vers le réemploi et la sobriété prend son essor, bien décidé à penser un nouveau modèle de consommation pour cet objet qui nous suit partout, sauf dans le temps. Selon le baromètre Kantar TNS en 2020, plus de 30% des 16-34 ans et 1 Français sur 4 a déjà acheté un smartphone d’occasion sur leboncoin, Backmarket, Ecofone, ou WeFix… donnant ainsi une seconde vie à ces appareils dont la fabrication, rappelons-le, est responsable de 75 % de son empreinte environnementale.

composants de téléphone
composants de téléphone

Les plus débrouillards se réunissent dans des ateliers de co-réparation - d’ailleurs en plein boom sur le territoire - pour rafistoler eux-mêmes leur portable. Au Repair café de Toulouges, on peut changer écran, batterie, micro et haut-parleurs, bien que certaines interventions complexes nécessitent parfois de se rendre chez un professionnel. Et tout ne se répare pas, admet Jean Boyer, responsable de cette antenne locale et auteur de Réparez vous-même vos appareils électroniques (éd. Eyrolles, 2014) : « Quand il s’agit d’un smartphone qui ne s’allume plus ou qui a un dysfonctionnement grave, il faudrait changer la carte mère et ça coûte trop cher, en général les gens ne le font pas. Du fait de la miniaturisation, il y a une tendance à l’intégration des composants, ce qui rend leur réparation très difficile. C’est compliqué parce que chaque smartphone se démonte de manière différente. »

Vers des smartphones 100% modulaires ?

De fait, la réparabilité est un axe clé pour « déprogrammer » l’obsolescence des smartphones. Depuis le 1er janvier 2021, elle fait l’objet d’un indice dédié attribuant une note à chaque modèle en fonction notamment de la démontabilité des composants (encore trop souvent collés, surtout en ce qui concerne les batteries et les écrans) et de la disponibilité des pièces détachées.

Sur le papier, un vibreur peut durer 15 ans, ça ne s’abîme pas. C’est fait en tungstène, un matériau assez rare et coûteux, donc tant qu’à faire si on peut le faire durer c’est mieux.

Parmi les meilleurs élèves, on retrouve le Français Crosscall, dont l’appareil est conçu pour accompagner les sportifs outdoor et professionnels de chantiers. Les téléphones sont réalisés avec des pièces détachées qui sont disponibles pendant 10 ans. Et bien sûr, on retrouve également Fairphone, devenu une référence en matière de smartphones éthiques et durables. Son dernier modèle est composé de 7 modules (batterie, caméra, écran…), tous facilement démontables avec le tournevis fourni. « Sur le papier, un vibreur peut durer 15 ans, ça ne s’abîme pas. C’est fait en tungstène, un matériau assez rare et coûteux, donc tant qu’à faire si on peut le faire durer c’est mieux », fait valoir Agnès Crépet, responsable du logiciel au sein de cette entreprise néerlandaise.

L’ingénieure rêve d’un modèle que l’on pourrait simplement « upgrader » pour le faire passer d’une génération de smartphone à une autre au lieu de passer du Fairphone 1 au 2, puis au 3, etc. Si l’on peut remplacer certains modules comme la caméra pour améliorer son engin, il n’est pas (encore ?) possible de changer le module de base qu’est le processeur, nous explique-t-elle.

telephone dans la main
telephone dans la main

Des systèmes d’exploitation alternatifs pour contrer l’obsolescence logicielle

Pour Frédéric Bordage, fondateur et animateur du collectif GreenIT.fr consacré au développement du numérique responsable, si l’indice de réparabilité « est un progrès indéniable », il faut aller plus loin, notamment sur le plan logiciel. Il évoque un phénomène d’ « obégiciel » causé par un déferlement de mises à jour qui « finissent par encrasser les smartphones » et les ralentir. « Nous espérons que le passage vers l’indice de durabilité au 1er janvier 2024 introduira un nouveau critère : la dissociation entre les mises à jour correctives (qui bouchent des failles de sécurité ou corrigent des bugs) et évolutives (nouvelles fonctionnalités sans rapport avec la conformité du logiciel). »

Pour faire passer le Fairphone 2 sorti en 2015 sur Android 9 en 2021, l’entreprise s’est appuyée sur LineageOS, un système d’exploitation (OS) alternatif en open source à durée de vie longue.

La longévité logicielle est aussi le nerf de la guerre chez Fairphone. L’une des principales difficultés aujourd’hui est que les fabricants de processeurs cessent de maintenir ceux-ci au bout de 2 à 3 versions d’Android. « Même Google, au bout de 2 à 3 ans, arrête de supporter une version, souligne Agnès Crépet. De ce fait, des applis comme TikTok mais aussi des applis bancaires ne marchent plus s’il n’y pas plus de mises à jour de sécurité. » Pour faire passer le Fairphone 2 sorti en 2015 sur Android 9 en 2021 (avec la certification Google), l’entreprise s’est appuyée sur LineageOS, un système d’exploitation (OS) alternatif en open source à durée de vie longue.

Cofondateur de la coopérative française Commown œuvrant pour « un électronique responsable », Adrien Montagut ajoute que les OS alternatifs (LineageOS, mais aussi /e/OS, disponible sur Fairphone 3) ont l’avantage d’être « moins énergivores car ils communiquent nettement moins d'informations personnelles sur les utilisateurs au réseau, et sollicitent ainsi moins la batterie. La dimension “sobriété” de l’OS est vraiment essentielle pour allonger la durée de vie des produits. » Des solutions qui vont de pair avec une « déGooglisation » (notamment sur /e/OS où les applis Google sont totalement inexistantes). « La transition n’est pas forcément évidente, concède-t-il, mais de plus en plus de gens sont révoltés par la mainmise des GAFA et les alternatives magnétisent un intérêt fort ».

smartphone nokia
smartphone nokia

Un futur nécessairement « low tech » ?

À l’écouter, c’est avant tout le modèle économique des smartphones qu’il faudrait changer. La coopérative montre la voie en proposant le Fairphone à travers un service de location longue durée,une prise en charge des réparations et une assistance à l’usage. « À terme, le mieux serait que l’économie de la fonctionnalité soit gérée par le fabricant lui-même », glisse-t-ilpour que celui-ci ait intérêt, non pas à ce que les consommateurs renouvellent régulièrement leur appareil, mais à ce que ce dernier soit le plus durable possible. Une piste également explorée par l’Américain Teracube, avec la garantie 4 ans – contre 1 an pour les iPhones, par exemple –, et un service de réparation accessible (39 dollars quelle que soit l’intervention).

D’ailleurs, dans un contexte d’épuisement des métaux rares et de tension croissante des ressources (comme l’eau douce) nécessaires à la fabrication des smartphones, la durabilité pourrait finir par s’imposer d’elle-même. Et si, comme le suggère Frédéric Bordage, son avenir était... low tech ? « On reviendrait à des téléphones pour téléphoner et envoyer des messages », avec une approche minimaliste qui fait la part belle à l’éco-conception des services numériques. « À partir du moment où l’on conçoit un service interactif hyper sobre, on peut demain faire ce qu’on fait aujourd'hui avec un Blackberry », assure-t-il.

Il faut se projeter dans cet avenir de sobriété avec enthousiasme.

De fait, certains cèdent déjà aux charme rétro et minimaliste des premiers téléphones portables, comme en témoigne le retour des Nokia d’antan (8000 et 6300) fin 2020. De nouveaux appareils voient le jour dans le même esprit, à l’instar du Energizer d'Avenir Télécom, doté d’une batterie de 50 jours et épais comme un livre, ou de Mudita. « Cela demande de revoir complètement ce qu’on attend des téléphones. Il faut se projeter dans cet avenir de sobriété avec enthousiasme, plaide Adrien Montagut. En 2050, on aura moins de smartphones – et peut-être même plus du tout de smartphones ! Mais plus de temps, de lien pour les gens qui nous entourent, pour s’imprégner de la nature… »

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