# Économie

Quand les femmes reprennent le pouvoir sur l’argent

Publié le 17 avril 2023 à 22h00

Emilie Bellet, fondatrice de Vestpod
Emilie Bellet, fondatrice de Vestpod

Prendre les choses en main - et surtout son porte-monnaie : les femmes ont pris leur indépendance financière, mais peuvent aller encore plus loin. Emilie Bellet, créatrice de la communauté Vestpod, nous explique pourquoi les femmes sont le futur de l’investissement. 

Imaginez. Vous êtes une femme menant une carrière couronnée de succès dans de grandes banques internationales. Vous gérez des fonds de plusieurs centaines de millions d’euros. Seulement, un jour, vous décidez de faire le point, non pas sur vos dossiers pros, mais sur vos propres fonds. Pour cela, vous vous adressez à un professionnel, un conseiller en patrimoine ou un fiscaliste, pour vous aider à y voir un peu plus clair. Sa réaction : « Où est votre mari ? ». Ça parait fou et archaïque ? Malheureusement, c’est loin d’être rare. C’est l’histoire d’Émilie Bellet, analyste à Londres et fondatrice de Vestpod, une start-up spécialisée dans l’éducation financière pour les femmes. 

Délier les langues et se soutenir mutuellement

Si aujourd’hui elle en rit, cette anecdote l’a secouée. Diplômée de plusieurs universités à travers l’Europe en Management et Finance d’Entreprise, elle a débuté sa carrière dans la banque Lehman Brothers – dont la faillite en 2008 a donné lieu à la crise financière de la même année. Elle avoue candidement que, malgré sa spécialisation, « comme la plupart des gens », elle n’avait aucune éducation financière sur le plan personnel, ni vraiment parlé d'argent avec ses proches. Cette visite chez le conseiller en patrimoine a été le « déclic » : si elle-même, professionnelle du secteur, n’arrivait pas à s’y retrouver dans ses propres comptes, comment les autres pouvaient-elles y arriver ? 

Après avoir dévoré quelques pavés de littérature financière, elle parle à son entourage et découvre des écarts phénoménaux « d’éducation, de salaires, d’épargne » sans parler du monde de l’investissement. La newsletter hebdo Vestpod est née. Émilie y parle de son expérience, décrypte des termes et des produits financiers, propose des conseils qui vont de l’investissement en période d’inflation au fait de se tenir à un budget. 

13 ans après, Vestpod s’est diversifié en blog, cours, conférences, podcasts et même en livre (You’re not broke, you’re pre rich, Brazen, 2019). « L'objectif est d'aider le plus de femmes possible à se sentir bien dans la maîtrise de leurs finances, se sentir en confiance, comprendre que c'est un long cheminement. On ne va pas changer sa trajectoire en une journée. Il y a toujours à faire, mais il faut de bonnes bases. C'était important de créer une communauté où il est facile de parler d'argent tout en rendant le sujet accessible », explique Émilie Bellet.

Les femmes détiennent 40% de la richesse mondiale mais n’osent pas se confronter à un monde « masculin »

Les femmes deviennent de plus en plus riches, c’est un fait. Avec l'augmentation du niveau d'éducation qui contribue à améliorer le potentiel de revenus, le nombre de femmes sur le marché du travail a augmenté ces dernières années, leur offrant davantage de possibilités de gagner des salaires plus élevés, quand elles ne lancent pas leurs propres entreprises. Elles sont aussi mieux perçues et protégées dans le monde du travail qu’auparavant. Le taux d'emploi des femmes a progressivement augmenté en France au cours des dernières décennies. De 50% en 1990, il est passé à 66,2% au dernier trimestre 2021 selon l'INSEE. Pourtant, certaines notions financières de base semblent non acquises voire hors de portée, peu importe le niveau de vie ou d’éducation de ces personnes. 

Ce progrès provoque un transfert de richesses que le système bancaire ne peut ignorer. En effet, selon le baromètre 2022 de l’épargne et de l’investissement de l’Autorité des Marchés Financiers, près de 8 femmes sur 10 mettent de l’argent de côté, chaque mois ou occasionnellement, à hauteur de 210 euros par mois, là où les hommes placent plutôt 280 euros. Côté placements, elles ne représentent que 30% des investisseurs actifs, selon la même étude. Un autre sondage mené par la société de gestion américaine BNY Mellon Investment Management pour un monde de l’investissement plus inclusif démontre trois obstacles majeurs : le manque de confiance, leur aversion pour le risque et leur revenu. A l’échelle nationale, 62 % des Françaises ont déclaré ne pas être intéressées par l’investissement. Autre note intéressante de ce rapport, 86 % des gestionnaires d’actifs admettent que le client par défaut est un homme ce qui peut, en surface, amplifier la méfiance d’investisseuses éventuelles. Dommage, quand on sait que les femmes ont tendance à miser sur des causes qui leur sont chères : 1 870 milliards de dollars de capitaux supplémentaires dans l’investissement responsable, ayant un impact social et environnemental positif.

« L’investissement, c'est pour les gens qui ont beaucoup d'argent à investir. (...) En réalité, il y a de plus en plus de femmes et l’investissement n’a jamais été aussi accessible. »

S’il y a eu une démocratisation de la finance, ces études nous montrent encore qu’il y un cap à franchir, en particulier pour les femmes, afin de passer une nouvelle étape dans l’émancipation financière : « L’investissement, c'est pour les gens qui ont beaucoup d'argent à investir ou la finance, ce ne sont que des traders sur des grosses plateformes financières qui sentent la testostérone », affirme ironiquement Émilie Bellet. « (...) En réalité, il y a de plus en plus de femmes et l’investissement n’a jamais été aussi accessible. » Briser les tabous, dépasser les obstacles et faire un pied de nez aux préjugés… bref, l'objectif est clair : mieux outiller les femmes pour mieux gérer leur argent et si possible, le faire fructifier. Rares sont les banquiers pédagogues… D’où l’importance et l’émergence de nouveaux interlocuteurs comme Plan Cash, Vestpod ou Your Juno, des services indépendants ciblés pour les femmes. Pour Émilie, qui a traversé la crise de 2008 de l’intérieur, la création de Vestpod a permis « de renouer cette relation de confiance » et de négocier bien renseignée.

Un apprentissage comme un autre

Il faudrait presque prendre des cours, remettre au programme les fameux arts ménagers - avec plus de compta et moins de cuisine, cela va sans dire. D’autant plus que les premiers contacts avec le budget se font tôt, « entre l'âge de trois et sept ans » selon l’entrepreneuse. Pourtant, Emilie remarque que l’envie de reprendre ces questions en main interviennent aux cours de « cycles de vie » - des événements marquants comme négocier un salaire, changer de job, se marier, avoir des enfants, acheter un appart, quitter un job pour monter un business, ou partir voyager. Des objectifs de vie mais aussi des objectifs financiers qui forcent à repenser l'organisation de l'argent au sein d'un foyer et de sa vie d’adulte. Dans un monde idéal, elle pense que « ce serait très utile d'avoir une formation solide avant d'entrer à la fac ou de recevoir son premier salaire, voire le premier prêt puisque de plus en plus de jeunes contractent des prêts étudiants. Quand on commence sa vie avec un chiffre négatif, ça peut paraître difficile ou insurmontable - encore plus quand on n’y comprend rien. Il faut voir les finances non pas comme un moment mais comme un cheminement. De l'argent de poche à l'achat d'une maison, c'est quelque chose qui évolue avec nous. »

Il existe de nombreux comportements face à l’argent : celles et ceux qui font l’autruche, celles et ceux qui font les fourmis pour mieux gérer leur budget... Pour Emilie Bellet, il faut commencer par identifier son propre rapport à l’argent : en pensez-vous du bien, du mal ? Quel genre de dépensier êtes-vous ? Réfléchir, puis poser sur papier si son lien avec l’argent va « avoir un impact sur beaucoup de nos décisions financières ». Puis, pour commencer à ébaucher un premier budget, il est conseillé d’étudier comment notre argent a été dépensé sur les trois derniers mois, essayer d’identifier les différentes catégories : les dépenses fixes, les épargnes, les loisirs, entre autres. Il faudra ensuite voir ce qui est dispensable et renégociable parmi les factures. On n’y pense pas toujours mais « c'est important d'aller renégocier ses factures aussi tous les ans ». 

« Ce serait très utile d'avoir une formation solide avant d'entrer à la fac ou de recevoir son premier salaire »

Enfin, la méthode Vestpod conseille de commencer à faire un plan financier qui va contenir des objectifs : commencer à constituer une épargne de précaution, mettre de côté pour des dépenses plus importantes comme des vacances, de nouveaux meubles, électroménager... Et, sur un très long terme, anticiper sa retraite. Pour se renseigner, il est possible de passer par des calculateurs en ligne, si l’on n'a pas accès à un conseiller en patrimoine. Il y a donc des caps évolutifs. D’ailleurs, l’ex-analyste le répète : « Il faut prendre le temps. On est tous super occupés entre le boulot, la charge mentale, etc. Mais prendre une heure au calme dans la semaine et l’intégrer dans sa routine, c’est déjà super ! ».  

L’enthousiasme d’Emilie est contagieux, mais qu’en est-il des questions éthiques et environnementales dans la finance ? Selon elle, cet engagement commence dans les achats du quotidien - il faut aligner notre consommation usuelle avec des investissements cohérents pour faire avancer les problématiques ESG (Environnementales, Sociales et de Gouvernance) et de développement durable. Si le mouvement s’intensifie, de plus en plus de régulations seront mises en place et le pouvoir de l’argent va enfin se transférer vers ces secteurs. Le début de la révolution?

Autrice : Carla P

Crédit Photo : Jess Yau pour Vestpod

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