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Julia Faure : “Nous avons tout intérêt à démoder la fast-fashion”

Publié le 22 avril 2024 à 08h13

Julia Faure, fondatrice de Loom
Julia Faure, fondatrice de Loom

Elle a fait du combat contre le mal-produire dans le textile son cheval de bataille. Créatrice de mode, Julia Faure est la fondatrice de la marque éthique Loom. Devenue une “égérie” de la lutte contre la fast-fashion, cette entrepreneure engagée se félicite d’une victoire enregistrée à l’Assemblée nationale. Entretien.

Quel est le modèle de Loom, la marque d’habillement que vous avez co-fondée en 2016 ? 

Julia Faure :

 La particularité de Loom, c’est qu’on essaie de faire des vêtements que les gens puissent garder le plus longtemps possible. Concrètement, ce sont des vêtements de bonne qualité que l’on achète par besoin et non par incitation. Ce sont aussi des vêtements que l’on va entretenir, réparer et faire durer. Notre modèle économique, c’est de vendre moins, mais mieux. 

Qu’est-ce qui a motivé votre démarche en lançant Loom ? C’était une réaction au modèle désastreux de la fast-fashion ? 

JF :

Nous avons tout simplement fait le constat que les besoins des consommateurs n’étaient pas satisfaits. Trouver des marques qui font des vêtements de bonne qualité est devenu très compliqué. Il arrive que des gens mettent de l’argent dans des polos et des pulls qui sont inutilisables au bout de deux lavages. Donc, à l’origine, la proposition, c’était ça : répondre à un besoin de consommateur en vêtements qui soient au bon rapport qualité-prix. 

Le 14 mars dernier, en France, l’Assemblée nationale a voté des mesures inédites visant à freiner la fast-fashion. Vous avez réagi en saluant une “loi historique”. En quoi les mesures adoptées sont-elles susceptibles d’être décisives ? 

JF :

Il faut bien comprendre ce qu’il se passe sur le marché du textile. Il y a un raz-de-marée de la fast-fashion et du low cost à travers toutes ces marques qui vont produire loin et massivement pour pouvoir vendre à bas prix et inciter à consommer en proposant de la nouveauté en permanence. Ce modèle-là est désormais dominant. Or, il a de graves conséquences écologiques, sociales et économiques. 7 vêtements sur 10 en France sont du low cost. Et ce modèle délétère continue de gagner du terrain. Ce qui n’est pas très surprenant quand on sait comment fonctionne le marché du textile. 

“Les entreprises sont économiquement poussées à mal faire”

Justement, pouvez-vous nous détailler ce fonctionnement ?

JF :

Dans le textile, il y a ce que l’on appelle une “prime au vice”. Aujourd’hui, il y a un avantage compétitif à mal faire. Si vous délocalisez votre production de tee-shirts de la France vers le Bangladesh, vous allez avoir le même produit pour 3 à 4 fois moins cher. En échange, vous aurez des gens mal payés et un environnement mal protégé. C’est cette “prime au vice” qui régit le marché. On se rend compte que les entreprises sont économiquement poussées à mal faire. Le changement par le consommateur n’est jamais advenu. C’est même l’inverse qui s’est produit. Et ce malgré les différents scandales qui ont frappé le secteur du textile low cost, des ballons de foot cousus par des enfants au drame du Rana Plaza en passant par le travail forcé des Ouïghours. Tout cela n’a pas fait évoluer le comportement des marques et des consommateurs.

On en arrive donc au constat que la réglementation est la seule solution.

JF :

Oui, c’est très clairement la seule manière de faire changer ce marché. La loi qui vient d’être votée met en exergue le fait que la fast-fashion est délétère à la fois pour l’économie et pour l’écologie. Elle reconnaît que le levier de développement de la fast-fashion passe par des incitations à consommer grâce aux nombreux modèles proposés chaque année. Ces entreprises vont être interdites de publicité : c’est assez révolutionnaire ! 

En complément, les mesures proposées instaurent un système de bonus-malus pour ces entreprises qui font trop de modèles. Elles devront aussi afficher un score environnemental, une sorte de Nutriscore du textile qui est en train d’être mis en place par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et le ministère de la Transition écologique. À terme, on pourrait donc avoir des entreprises qui seront pénalisées à chaque fois qu’elles produiront des vêtements très polluants. À l’inverse, les vêtements bien produits généreront du bonus. C’est une manière de rééquilibrer le marché et de compenser cette “prime au vice” que j’évoquais précédemment. 

Les lobbies du secteur ne risquent-ils pas de trouver une faille quelque part pour tenter de verrouiller le système en leur faveur ? 

JF :

La loi doit encore passer devant le Sénat. Les lobbies ne restent pas les bras croisés. Leur travail de sape a commencé. Ils multiplient les éléments de langage pour affaiblir cette loi en racontant que les consommateurs seraient pénalisés. Je compte donc sur l’engagement politique des députés qui ont voté cette loi. C’était courageux de leur part. Mais, en effet, la vigilance s’impose. 

“Le low cost n’est pas une solution à la pauvreté, bien au contraire !”

Vous avez évoqué cet argument des lobbies qui mettent régulièrement en avant la question du coût pour les consommateurs. Certains revendiquent presque une utilité sociale en affirmant dégager du pouvoir d’achat pour les consommateurs. Et il est vrai que produire éthique a un coût. Alors, comment répondre à cela ?

JF :

Le système de bonus-malus sera appliqué au niveau de l’entreprise, et non du produit. Si l’entreprise ne veut pas payer de malus, elle devra changer de comportement. Si elle ne le fait pas, elle peut payer des malus sans avoir à les répercuter sur le prix du produit. Donc c’est un choix des entreprises si le prix des vêtements augmente. 

Mais l’idée, c’est quand même qu’il devienne plus compliqué de produire des vêtements à l’autre bout du monde. Et qu’à l’inverse, ce soit moins cher de produire en France. Enfin, il faut rappeler que le low cost n’est pas une solution à la pauvreté, bien au contraire ! Ce qu’on voit surtout, c’est que c’est un cadeau empoisonné qui appauvrit toute la société à moyen terme. Délocaliser une production en Asie, c’est détruire des emplois en France et pousser des gens vers le chômage. Depuis les années 1970, des centaines de milliers d’emplois ont été détruits dans l’industrie. Le déficit commercial lié au textile en France, c’est 12 milliards d’euros, soit 20% du déficit national hors énergie. Voilà ce qu’il en coûte de produire mal. À l’inverse, produire bien coûte moins cher écologiquement, socialement et économiquement. Nous avons donc tout intérêt à démoder la fast-fashion. 

“À chaque fois que l’on achète un vêtement, il faut prendre le réflexe de se poser la question de savoir qui l’a produit et dans quelles conditions”

On a beaucoup parlé du rôle des entreprises mais quels conseils donneriez-vous aux consommateurs ? Que peuvent-ils faire ? 

JF :

Le modèle de la fast-fashion a participé à l’explosion de notre consommation de vêtements. Le nombre de vêtements neufs consommés en France chaque année a doublé en moins de 40 ans. Pour toutes les raisons précédemment exposées, ce n’est clairement pas tenable. Il faut donc revenir à un modèle où on achète selon nos besoins et où on investit dans de belles pièces de qualité qui ont été produites dignement. À chaque fois que l’on achète un vêtement, il faut prendre le réflexe de se poser la question de savoir qui l’a produit et dans quelles conditions. On peut aussi se demander si on compte le garder longtemps. C’est le meilleur conseil que je puisse donner : achetez moins mais mieux. Mieux au sens de la qualité du produit et des conditions de sa production. 

Auteur : Pierre D

Crédit Photo : Romy Alizée

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