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Le bandana, une folle épopée pour un carré rebelle

Publié le 10 octobre 2025 à 07h35

Bandana rouge sur une table de bistrot
Bandana rouge sur une table de bistrot

Le bandana est l’un des accessoires à avoir traversé les siècles et les continents sans jamais perdre de son symbole. Derrière ce carré de coton aux motifs paisley se cache une histoire incroyable, où se croisent artisans indiens, mineurs américains et stars du rock.

Alors que l’automne s’installe, le bandana se rappelle à nous comme l’allié parfait de la mi-saison. Pas encore une écharpe, mais déjà plus qu’un simple accessoire, il tient chaud juste ce qu’il faut quand les journées se rafraîchissent. Autour du cou, attaché aux cheveux ou noué à l’anse d’un sac, il accompagne cette période de transition avec une désinvolture que peu de pièces savent offrir. Ce n’est pourtant pas la première fois qu’on lui confie ce rôle hybride, entre utilité et style. Car bien avant de devenir l’accessoire bohème de l’automne ou le fétiche des rockeurs, il a voyagé à travers continents et époques.

Le voyage commence en Inde. Bien avant que le bandana ne s’invite dans les westerns ou les clips de rap, il était déjà porté en soie et en coton, teint grâce à une technique millénaire : le bandhani. Le principe ? Nouer le tissu, l’immerger dans des bains de teinture, puis dénouer pour faire apparaître des motifs vibrants. C’est de là que vient son nom : du sanskrit badhnati, qui signifie « nouer ». Introduit en Europe au XVIIIème siècle via les Compagnies néerlandaise et anglaise des Indes, il devient vite l’accessoire des élégants. Les dandys amateurs de tabac à priser y trouvent un allié chic et pratique : un mouchoir coloré qui masque les traces disgracieuses de nicotine.

Le motif, lui, s’impose tout aussi naturellement : le paisley (aussi connu sous le nom de « cachemire » en France). Ce petit croissant stylisé, hérité de la Perse et du Cachemire, se répand en Europe par le biais des châles de luxe importés par la Compagnie des Indes. Très vite, la demande est telle que les manufactures écossaises de la ville de Paisley inondent le marché. Résultat : le motif prend leur nom.

La politique dans un mouchoir de poche

De l’autre côté de l’Atlantique, le bandana prend une dimension politique. Pendant la guerre d’Indépendance, Martha Washington demande la création d’un foulard à l’effigie de son mari, George, représenté à cheval, entouré de canons et d’un slogan patriote. L’objet fait mouche. Dès lors, le petit carré devient support de propagande. Au XXᵉ siècle, Theodore Roosevelt imprime sa chanson de campagne « We Want Teddy » sur des foulards distribués en meeting. Même Dwight Eisenhower s’y met. Le bandana est à la fois affiche, tract et souvenir.

Mais l’histoire du bandana est aussi celle des luttes sociales. En 1921, en Virginie-Occidentale, plus de dix mille mineurs se soulèvent pour exiger la reconnaissance de leurs syndicats. Leur signe distinctif ? Un bandana rouge noué autour du cou. De cet épisode naît l’expression : « redneck ». À l’origine, ce terme désignait ces rebelles aux bandanas rouges, avant de devenir un sobriquet péjoratif pour les travailleurs pauvres et ruraux.

Cowboys, ouvrières et culture underground

Le bandana s’impose ensuite dans l’imaginaire américain grâce au cinéma. Dans les westerns, il est l’accessoire fétiche des cowboys, utile contre la poussière, et des bandits, pratique pour masquer le visage. Dans les années 1940, il se féminise : les ouvrières de guerre l’utilisent pour attacher leurs cheveux, devenant l’image de « Rosie the Riveter », icône féministe et ouvrière.

Dans les années 1970, le bandana change de registre : il devient un langage secret. La communauté gay invente le handkerchief code, où chaque couleur, portée dans telle ou telle poche, indique une orientation ou une préférence sexuelle. Mais dans les années 1980, il bascule dans un autre univers : celui des gangs. Le même accessoire devient tour à tour signe d’émancipation, de séduction ou de violence.

C’est dans la musique que le bandana connaît sa plus grande popularité. Dans les années 1980, Madonna le met dans ses cheveux, Bruce Springsteen sort rarement sans, Tupac, lui, en fait un emblème : toujours porté en couronne, avec le nœud sur le devant.

Comment chiner le bon bandana ?

Regarder l’impression : sur les anciens modèles, le motif traverse le tissu. Sur les copies modernes, il est souvent limité à un seul côté.

Chercher la mention « Fast Color » : typique des bandanas américains d’après-guerre.

Repérer l’étiquette « Elephant Brand » : culte chez les collectionneurs. Avant les années 1950, l’éléphant avec la trompe vers le bas ; après, elle est relevée.

Le bandana est un paradoxe. Objet du quotidien, produit en masse, vendu à bas prix, mais chargé d’histoires. Peut-être est-ce là sa véritable force : être assez simple pour appartenir à tout le monde, mais assez fort pour incarner tour à tour la liberté, la rébellion, la séduction, la nostalgie et le style.

Autrice : Carla P

Crédit photo : Steve Johnson / unsplash

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