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L’ouraline : l’histoire lumineuse du verre à l’uranium
Publié le 22 juillet 2025 à 11h58

Un saladier vert pomme, un verre à pied d’un jaune étrange… Ils brillent à la lumière noire et fascinent les collectionneurs. Mais saviez-vous qu’ils sont (un peu) radioactifs ?
Derrière leur apparence banale, certains objets anciens en verre dissimulent un secret : ils contiennent de l’uranium. Bienvenue dans le monde fascinant de l’ouraline, ce verre qui brille dans le noir et affole les chineurs.
Un verre en verre vert (fluo)
Non, ce n’est pas un mythe : l’ouraline (ou vaseline glass en anglais) contient bien une toute petite dose d’uranium. Pas assez pour faire peur aux physiciens, mais suffisamment pour produire cette lueur verte surnaturelle lorsqu’on passe une lampe UV dessus. Le secret ? Un pigment à base d’oxyde d’uranium, incorporé à chaud dans la pâte de verre. Ici, le matériau radioactif ne sert pas de combustible nucléaire, mais de colorant.
C’est beau, c’est bizarre… mais ce n’est pas dangereux ! Les doses d’uranium contenues dans ces objets sont extrêmement faibles. Certes, le verre émet un très léger rayonnement alpha,immédiatement arrêté par sa propre épaisseur. En revanche, mieux vaut éviter d’utiliser ces objets pour manger ou boire s’ils sont très ébréchés. L’ouraline est un objet de collection, pas une vaisselle du quotidien.
Une prouesse made in Bohême
Pour comprendre l’ouraline, il faut remonter à la fin du XVIIIe siècle. En Bohême (actuelle République tchèque), les artisans-verriers sont à la pointe de l’innovation. En 1789, le chimiste allemand Martin Heinrich Klaproth découvre un nouvel élément : l’uranium, du nom de la planète Uranus, repérée huit ans plus tôt. À partir des années 1830, des verriers bohémiens comme Franz Xaver Riedel expérimentent avec ce nouvel oxyde aux propriétés étonnantes. Ils cherchent à créer un verre d’apparat, décoratif, lumineux, idéal pour les salons bourgeois en quête d’originalité. Résultat : un vert-jaune translucide, doux à la lumière du jour… mais qui révèle tout son éclat dans l’obscurité.
Entre 1850 et 1910, l’ouraline connaît un véritable âge d’or. Elle est produite en Europe (Autriche, Angleterre, France), puis aux États-Unis, et se décline en vaisselle, objets décoratifs, bougeoirs, boutons, vases, etc. Elle accompagne les grands mouvements esthétiques : romantisme, Art nouveau.
Trop fluo pour la Guerre froide
Dès les années 1920, l’aura de l’ouraline commence à pâlir. D’une part, les modes changent : on préfère des teintes plus sobres, des lignes plus épurées. D’autre part, l’uranium commence à faire frémir. Avec les progrès de la physique nucléaire et la montée des tensions politiques, l’idée d’avoir de l’uranium dans son vaisselier devient soudain… beaucoup moins glamour. Après la Seconde Guerre mondiale et surtout l’ère atomique, la production d’ouraline devient marginale. Aux États-Unis, elle est interdite pendant la guerre, puis de nouveau autorisée dans les années 1950… mais elle n’a plus la cote et devient un fantôme des intérieurs d’antan.
Mais voilà qu’au XXIe siècle, l’ouraline fait son grand retour. Sur les réseaux sociaux et en brocante, une nouvelle génération de collectionneurs se prend de passion pour ces objets étranges. On les appelle les "uranium hunters". Et pour eux, l’ouraline n’est plus un reliquat radioactif : c’est un trésor lumineux, entre art déco et science-fiction, capable d’éclairer tout un pan oublié de nos imaginaires domestiques.
Auteur : Marin TDM
Crédit Photo : © Musée McCord Stewart