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Vibram : comment une semelle de montagne a conquis les podiums
Publié le 25 juin 2025 à 05h32

L’histoire de Vibram commence dans les hauteurs des Alpes italiennes, bien loin des défilés de mode ou des vitrines branchées de Tokyo ou Paris. Une histoire où la semelle, objet trivial par excellence, devient un symbole culturel, un gage de durabilité, et même un marqueur de style.
Nous sommes en 1935. Vitale Bramani, jeune alpiniste milanais et ingénieur de formation, prend part à une expédition dans les Alpes italiennes. Ce qui devait être une aventure en haute altitude tourne au cauchemar : six membres de l’équipe périssent, pris au piège par le mauvais temps et ralentis par un équipement inadapté. À l’époque, les chaussures d’alpinisme sont lourdes, rigides, souvent cloutées de métal. Redoutables sur la roche sèche, elles deviennent des patinoires sur la glace.
Ce drame marque profondément Bramani. Il se convainc qu’il faut repenser complètement la chaussure de montagne. Il s’associe avec Leopoldo Pirelli (oui, comme les pneus et les calendriers) pour créer une semelle en caoutchouc vulcanisé, dotée de crampons profonds et larges. Inspirée des chenilles de char, elle est baptisée « Carrarmato », littéralement « tank ». En 1937, la marque Vibram est déposée, contraction du nom de son fondateur. Une révolution est en marche.
Des sommets aux standards de l’outdoor
La semelle Carrarmato s’impose rapidement comme une référence dans les sports de montagne et équipe bientôt les plus grandes expéditions. Légère, adhérente, fiable par temps sec comme humide, elle devient un standard de l’alpinisme moderne.
Mais Vibram ne s’arrête pas là. Au fil des décennies, l’entreprise développe des dizaines de semelles adaptées à des usages précis : trail running, randonnée, sport militaire, neige, conditions humides, chaleur extrême… Le catalogue devient une sorte de dictionnaire technique du mouvement humain. Le logo jaune, ce petit losange discret incrusté dans la semelle, devient un sceau de qualité pour les connaisseurs.
De l’atelier au catwalk : l’étrange retour par la mode
Tandis que Vibram brille toujours dans les milieux techniques, la mode urbaine s’en empare à son tour.À partir des années 2010, le style utilitaire devient désirable. Le mouvement « gorpcore » envahit les rues : vestes imperméables, sacs techniques, pantalons cargo… et bien sûr, chaussures inspirées du trekking.
Les marques spécialisées comme les plus chic flairent le filon. Elles veulent de la crédibilité technique, un retour au vrai, à l’authentique. Moncler, 1017 ALYX 9SM, Balenciaga, Suicoke, Hoka, Diemme, Salomon… tous se mettent à intégrer des semelles Vibram dans leurs collections.
Hybridation et réparation
L'histoire de Vibram ne serait pas complète sans parler des cordonniers. Ces artisans souvent oubliés, qui, dans leurs ateliers, perpétuent un savoir-faire ancestral : faire durer ce qui peut l’être. Vibram, à la différence de nombreuses marques modernes, a toujours conçu ses semelles pour être remplaçables. Résultat : les amateurs de belles chaussures, mais aussi les marcheurs et les travailleurs, sont nombreux à venir voir leur cordonnier de quartier avec une demande bien précise : « Vous pouvez me mettre une Vibram dessous ? »
Certaines paires sont même transformées : un soulier classique peut gagner un look montagneux avec une semelle Vibram crantée, pour plus de confort, de solidité… et un style unique. Avec l’essor du mouvement pour la réparation, ces pratiques prennent un nouveau sens. Depuis 2023, en France, le Bonus Réparation permet même de faire subventionner la réparation de chaussures dans des ateliers labellisés.
Ce qui était un détail d'ingénierie devient une signature visuelle. La semelle devient l’élément de design à part entière, presque sculptural, épais, anguleux, agressif. Elle reconnecte le style à l’usage, la modernité à l’artisanat, l’objet à son histoire. Peut-on rêver mieux, pour un simple morceau de caoutchouc ?
Autrice : Carla P
Crédit photo : cbarnesphotography / iStock